Filet Mignon
« To establish the in between is to reconcile conflicting polarities.»
(Van Eyck)
La frontière entre les cours d’eau qui sillonnent nos villes et le tissu urbain offre l’opportunité d’établir un lien entre ces deux univers. Filet Mignon est une installation ludique qui joue sur l’abstraction des qualités sensorielles liées à la fois à l’eau et à la ville. De manière concrète, l’intervention se définit comme la mise en place de filets habitables qui relient, enveloppent et s’accrochent aux structures qui ponctuent les rives fluviales et urbaines. Ces nouveaux plans, insérés en des points stratégiques le long des berges, suggèrent, par leur matière et leur mise en œuvre, diverses activités qui entraineront les citoyens à se réapproprier les rives délaissées. Il sera désormais possible de s’y rencontrer, soit pour un brunch entre copains - instable, mais ô combien original - soit pour un rendez-vous amoureux entre le scintillement des villes et le clapotis de l’eau.
Catherine Gagnon-Leblanc, Léa Gagnon-Turgeon, Philippe Charest &William Gauthier-Krynski
- attendris ta rive -
Filet Mignon est né d’une réflexion inspirée par la théorie du In Between, élaborée par Aldo van Eyck, portant sur les espaces transitionnels entre deux polarités. L’espace In-Between représente un lieu qui profite des avantages des deux réalités qu’il sépare. Ce théoricien utilise la plage comme métaphore, ce lieu où la mer se meurt et où la terre meurt à son tour, pour illustrer ce qu’il entend par le lieu où deux imaginaires se confrontent et trouvent un terrain d’entente. « You fell reconciled in a way you wouldn’t feel if there were a forced dialogue between you and either one or the other of these great phenomena. […] You conicide with both, because their coincidence is you. » (Van Eyck) Filet Mignon matérialise donc, l’espace In-between par l’insertion de surfaces en suspension au-dessus de l’eau qui permettent également la contemplation du paysage urbain.
Sollicitant un minimum de moyen, Filet Mignon a comme but premier le réinvestissement de secteurs délaissés. Par la simplicité de leur installation et de leur composition, les filets s’inscrivent dans l’esprit de l’urbanisme tactique. Le projet trouve sa force à travers son ingéniosité ainsi que par le caractère informel de sa mise en oeuvre : « DIY urbanism constitutes a partial or piecemeal claim to spatial justice, in that it uses the rhetoric of amateurism, marginality and informality to make space in the city ».(Deslandes) Somme tout, Filet Mignon laisse place à l’investissement et à l’imagination pour ceux qui désireront se l’approprier et lui donner un sens personnel ou collectif.
Une promenade au bord du St-Laurent suffit pour repérer nombre de stationnements, vides urbains, clôtures, zones industrielles et portuaires qui représentent une rupture nette entre le front bâti et le front fluvial. Au gré de l’évolution urbaine, les rives ont été dénaturées et fragmentées par ces aménagements. Encore présente dans la mémoire collective, l’ère post-industrielle a laissé place de façon ponctuelle à de grands vides le long du littoral. C’est en réponse à cette rupture que les filets saisissent l’opportunité de combler ces vides. Les transformations imposées aux rives ont généré des obstacles aussi physiques que psychologiques entre le cadre bâti urbain et l’accès à l’eau, « […] reléguant le fleuve au second plan, dans un au-delà visible, mais inaccessible. » (Ministère des transports, France)
À ce jour, 60 % des habitants de notre planète sont installés le long des côtes et 80 % d’entre eux se concentrent en zones urbaines. Par cette densité, il est facile de comprendre que les rives sont intimement liées aux changements sociaux, économiques et industriels. Ainsi, les fleuves et les rivières sont associés à deux réalités qui ensemble représentent un défi: ils sont à la fois des ruptures du territoire et des liens entre les civilisations. Il semble ainsi primordial de poser une action concrète afin d’honorer cette situation géographique et d’établir une métaphore avec les voies navigables à l’origine du développement des villes. L'évolution du découpage hydrographique de la ville de Québec suscite notamment ce type de réflexion. Les rives du St-Laurent gagneraient à être investies par un projet d’urbanisme tactique en raison de leur dynamisme.
Sans conteste, le filet est une matière qui évoque l’imaginaire marin. De ce fait, il tisse des liens solides entre l’urbanité et l’eau. D’autre part, ses qualités intrinsèques s’adaptent aux diverses structures qui ponctuent les rives urbaines. D’ailleurs, cette malléabilité permet d’extrapoler jusqu’à l’idée d’envelopper dans ces filets : voiliers, paquebots, automobiles et passants qui s’aventureraient dans le In Between. Tout compte fait, le concept de Filet Mignon peut facilement être transposé aux autres villes qui se questionnent actuellement sur leur rapport à l’eau. Accroché à la ville et flottant au-dessus de l’eau, Filet Mignon interprète l’espace In between et devient un lieu incontournable de rassemblement à la frontière entre la ville et l’eau.
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
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PÉRIODIQUES
BISHOP, P. WILLIAMS, L (2012) The temporary city, New York, Routledge, 248 p.
CARMONA, M. (2010) ‘Contemporary Public Space : Critique and Classification, Part One’ In : Journal of Urban Design, 15 (1) : 123-148
DESLANDES, A. (2013) ‘Exemplary Urbanism : thoughts on DIY Urbanism’ In : Cultural Studies Review, 19 (1) : 217-227
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NAUD, Léonce. " Québec retrouvera son fleuve ", Le Québec Hebdo, 19 septembre 2011, [www.gensdebaignade.org] (page consultée le 15 septembre 2013).
PUBLICATION OFFICIELLE
FRANCE. MINISTÈRE DES TRANSPORTS, DE L’ÉQUIPEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER. Le fleuve dans la ville : la valorisation des berges en milieu urbain. Paris, La direction générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction,2006,120p.
NAUD, Léonce. Québec : ville, port et fleuve. Québec, Lettre à son excellence la très honorable Adrienne Clarkson, 2003, 43 p.
THÈSE
CHAN, Thomas. Rethinking space + place : negotiating a social realm between mobile technology and architecture. Toronto, Thèse pour la Ryerson University, Paper 990, 2010, 112 p.
« Whatever space and time mean, place and occasion mean more. »
(Van Eyck)