Ce projet vise à redynamiser les grands espaces de stationnements des centres d’achats de banlieue par des interventions tactiques : les hotspots. Ceux-ci créent des espaces publics ponctuels au sein même des stationnements. Ils les transforment, les animent, leur offrent des lieux d’appropriation agréables et multifonctionnels qui se concrétisent en un archipel d’oasis au potentiel rassembleur et divertissant.
Hot Spot
Et si le stationnement d’un centre commercial devenait l’endroit le plus «hot» en ville ?
David Kirouac, Sarah Landry, Lysanne Garneau & Adnan Boursas
Solitudes
L’attrait de la banlieue provient de sa faible densité, de sa végétation abondante, de sa tranquillité, de ses grands espaces. Paradoxalement, ces développements monofonctionnels sont souvent accompagnés de multiples centres commerciaux et de stationnements disproportionnés. À l’ère de l’efficacité et de la vitesse, l’automobile occupe une place de premier plan dans la configuration des villes, la manière de s’y déplacer et la façon de la vivre. Aux États-Unis seulement, il y a suffisamment de stationnements pour paver entièrement l’état de la Nouvelle-Angleterre (Jakle, Sculle : 2004). Ils sont devenus si communs dans nos vies que l’on ne prend plus vraiment la peine d’y réfléchir : tout le monde s’attend à avoir un endroit où se stationner. Mais pense-t-on réellement à ces endroits? C’est un geste automatique, un ‘‘réflexe’’ (Jakle, Sculle : 2004). Par ailleurs, de par leurs grandes surfaces asphaltées, ces espaces sont source de problèmes environnementaux à l’échelle urbaine comme l’effet d’îlot de chaleur qui y est exacerbé lors des canicules. L’asphalte foncé, les toits de bitume et l’absence totale de végétation renforcent ce problème et contribue à la dépréciation du lieu par ses usagers.
Pourtant, ces endroits indispensables à l’économie de la ville sont l’antithèse même du style de vie recherché par ceux qui habitent les banlieues. Ces deux réalités se côtoient et s’ignorent malgré qu’elles semblent pouvoir difficilement exister l’une sans l’autre. Les consommateurs et les résidents des quartiers avoisinants se retrouvent alors dans des espaces inadaptés et peu accessibles aux piétons. En effet, Les milieux suburbains de villes comme Lévis diffèrent des quartiers centraux plus denses comme le Vieux-Lévis ou le quartier Saint-Roch. L’échelle de l’architecture, des boulevards et de l’affichage est surdimensionnée pour s’adapter à la vitesse des voitures, alors que les quartiers plus denses sont adaptés à la vitesse de marche d’un piéton (Gehl : 2010). Ce phénomène laisse aux quelques marcheurs courageux une désagréable impression que les éléments de l’environnement sont grotesquement amplifiés. Une balade à pied dans cet environnement hostile est révélatrice; le promeneur s’y sent isolé et ne perçoit aucun détail ou signe de vie qui enrichirait son parcours, contrairement à une marche en milieu urbain qui stimule les sens, procure un grand éventail d’activités et offre une diversité visuelle captivante. Les espaces suburbains modernes sont davantage des lieux de transit et de passage que des lieux de rencontre.
Pourtant, les stationnements de centres commerciaux sont parmi les endroits les plus achalandés de la ville, tellement que l’on pourrait aller même jusqu’à les considérer comme les nouvelles places publiques.
Intervention
L’intervention propose de transformer des espaces précis et sous-utilisés d’un stationnement en ‘‘hotspots’’. Ceux-ci deviendraient des émergences singulières, des refuges ombragés dans cette mer d’asphalte. On s’y promènerait d’îlots en îlots, les cases de stationnement faisant désormais place à des lieux de rencontre et de surprise. La dimension organisée et sans caractère du lieu ferait maintenant place à un archipel de places à découvrir et à s’approprier. Ceux-ci prendraient racine à des endroits qui favoriseraient le passage de l’un à l’autre, le long d’un parcours qui serait naturel pour les utilisateurs; aux entrées des commerces, près des arrêts d’autobus ou en plein centre des surfaces asphaltées.
Les ‘‘hotspots’’ sont une tentative de réconciliation des deux solitudes de la banlieue. Ils sont une amorce de mixité des usages dans un lieu qui est pour l’instant bien peu flexible à cet égard. L’intervention veut faire réfléchir, mais surtout donner envie aux citadins d’agir pour transformer les stationnements ; l’espace public de notre temps.
Réconciliation
Pour la plupart, un stationnement à grande surface n’est rien d’autre qu’un stationnement. On y gare sa voiture. Point. Ce n’est pas un espace que l’on aménage, que l’on investit, qui peut faire vivre des émotions. Cela est dû à une vision préconçue et enracinée du lieu, que Pierre Bourdieu appelle le doxa. En modifiant celui-ci on peut parvenir à changer l’habitus des gens ; la façon dont ils s’approprient l’espace (Hou : 2010). L’intervention se traduirait par un élément choc qui marquerait l’esprit, soit littéralement une implosion du stationnement. Des parties du sol se relèveraient pour former des endroits où se blottir, grimper et s’asseoir alors que l’ouverture dans le sol révélerait des éléments naturels innatendus tels que du sable, de l’eau ou de la végétation afin de créer de véritables environnements idylliques… des oasis de fraîcheur apparaissant dans un environnement improbable. Le choc crée le lieu, l’événement crée l’espace (Gehl : 2010)
La quantité d’espace de stationnement l’emporte sur les qualités de l’espace. L’asphalte l’emporte trop souvent sur l’architecture. Le sacrifice du paysage(landscape) urbain au profit du ‘‘carscape’’ est une tendance à la hausse (Jakle, Sculle : 2004). L’intervention, de par sa morphologie, ne permet pas aux voitures d’y accéder. C’est un espace piéton, un espace pour humains. Par contre, elle dérange les automobilistes, elle les brusque dans leur routine. Ceux-ci sont invités à interagir avec ces nouveaux éléments. La position des voitures s’en trouvera donc modifiée ainsi que la configuration même du lieu accentuant l’altération du doxa. L’emplacement des commerces décourage souvent les piétons à y accéder, car ceux-ci doivent traverser cette grande étendue de bitume sans caractère. Dorénavant, les ‘’hotspots’’ parsemés le long du chemin du piéton lui offriront des espaces adéquats pour marcher, s’asseoir, observer et parler, car c’est en marchant que se goûtent les plaisirs de la vie quotidienne (Gehl : 2010).
Même s’il peut arriver que les stationnements soient utilisés à d’autres fins, cela reste toujours une situation temporaire. Les ‘’hotspot’’ reconsidèrent la mobilité et la fréquentation de ces lieux dans une perspective d’avenir. La façon d’agir dans ces endroits ne sera plus jamais la même. L’intervention est là pour transformer l’endroit définitivement. Il n’est pas question d’interdire la voiture, mais d’offrir une autre expérience de consommation aux gens, les rapprocher entre eux et leur faire réaliser le potentiel énorme d’espaces qu’ils fréquentent presque tous les jours.
Bibliographie
Ben-Joseph, E. (2012). Rethinking a lot : the desing and culture of parking. Cambridge, MA : MIT Press.
Corburn, J. (2008). Cities, Climate Change and Urban Heat Island Mitigation : Localising Global Environmental Science. Urban Studies, 46(2) : EBSCOhost.
Gehl, J. (2010). Cities for people. Washington, DC : Island Press.
Hou, J. (2010). Insurgent Public Space : guerrila urbanism and the remaking of the contemporary cities. New York, NY : Routledge.
Institut National de Santé Publique du Québec (2009). Mesures de lutte aux îlots de chaleur urbains. Quebec, PQ : Gouvernement du Québec.
Jakle, J.A., Sculle, K.A. (2004). Lots of parking : land use in a car culture. Staunton, VA : University of Virginia Press.
Miller, C.G. (1988). Carscape : a parking handbook. Washington, DC : Washington Street Press.
Tschumi, B. dans Gelh, J. (2010). Cities for people. Washington, DC : Island Press.