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L'Effet Papillon

Anthony Bouchard, Vincent Morissette, Maxime Rochette & Kevin Rozon

Par son action sur ces arrêts suscitant l’accablement, l’effet papillon crée une réaction en chaine et retisse une nouvelle trame à partir de la ville, joignant pôles isolés et nœuds de mobilité. Les barrières sont fracturées et les limites franchies. L’ancienne convention voulant que la voiture soit maitre au sein d’une urbanité étiolée est mise de côté au profit d’une logique de connectivité. Le réseau ainsi redéfini par l’intervention populaire permet de relier de façon efficace les quartiers,  d’abord entre eux, puis au reste de l’agglomération. Les zones d’intensité locale ne sont plus contournées, mais traversées. Elles deviennent alors un espace de rencontre réapproprié de la ville diffuse; un véritable lieu de partage et de cohabitation en réseau avec les autres zones d’intensité via le transport actif et collectif. La totalité du rayon de marche devient habitée, animée, accessible et stimulante. L’espace public est réinvesti, réaménagé pour le piéton et pensé pour le confort de ses utilisateurs. Ainsi, le réseau mésadapté aux réalités de la trame laisse place à un système de mobilités occupant une position centrale dans la façon d’habiter et d’expérimenter la ville (Lévy. 2004: 169).

“Les systèmes de mobilités occupent une position centrale dans les modèles d’urbanité, surtout quand les décisions à prendre sont présentées comme techniques et déjà bouclées par les experts au nom de simples logiques d’ingénierie des transports ou d’ingénierie sociale, les choix de mobilité sont toujours des choix urbains majeurs.” - Kaufmann dans Asher, 2004: 169

L’effet papillon est un geste d’indignation sur l’environnement urbain qui engendre des bouleversements majeurs dans l’urbanité, reflets de plus amples ambitions. Cette intervention tactique est symbolisée par le déplacement d’arrêts d’autobus qui sont égarés en différents non-lieux de la ville afin de les reconnecter directement au cœur de pôles d’intensité suburbaine. L’effet papillon, c’est l’exode des arrêts d’autobus délaissés vers les nœuds de rencontres et d’activités sociales.

[ ville, transport et délaissés ]

À l’extérieur du périmètre de la ville dense, la ville diffuse telle qu’on la connait a évolué selon une logique du “tout à l’automobile”. C’est le cas, notamment, du tissu générique des centres commerciaux, power centers et autres environnements hostiles au piéton de la périphérie. Ce mode d’étalement basé sur des principes fonctionnels de rapidité et d’efficacité, a marqué le paysage en laissant d’importants fragments urbains ainsi que de nombreux réseaux indifférents aux mobilités douces et actives. Les déplacements à l’échelle locale comme la marche et le vélo se sont vus relégués au second plan au profit d’infrastructures routières fracturant le territoire en multiples fragments discontinus et déconnectés.

 

 

Également tributaire de la conception axée sur le déplacement motorisé individuel, le réseau de transport en commun en a subi les dommages collatéraux. Il s’articule en fonction des axes principaux de desserte, provoquant une rupture de lien entre les différentes polarités de la ville. Dans ces creux d’intensité et ces plaies ouvertes de la ville éclatée se sont alors retrouvés les satellites du transport collectif : les arrêts d’autobus. Souvent isolés et déconnectés de toute logique urbaine, ils sont les laissés pour compte de l’étalement.

[ piétons et technocratie ]

À l’heure où la recherche d’efficacité des transports semble s’imposer dans toutes les facettes de l’aménagement, la reconquête de la ville par le piéton génère divers outils d’évaluation des distances réelles et perçues. S’il parait réaliste d’établir théoriquement à 400 m (5 minutes) le rayon de marche qu’un individu est prêt à parcourir avant d’avoir recours à un mode de déplacement motorisé, qu’en est-il de la matérialisation de cette capacité, voir de cette volonté, à travers la trame urbaine existante? “La distance psychologique entre deux localités peut être beaucoup plus grande, ou plus difficile à surmonter que ne semble le justifier la simple distance matérielle qui les sépare” (Lynch, 1960: 99). Si les critères techniques d’implantation des arrêts de transport en commun prennent en compte les logiques de fréquentation, les distances entre les arrêts et la proximité des principaux pôles d’emploi, qu’en est-il des autres limites anthropiques du milieu. Ainsi, les barrières infranchissables, les ilots démesurés et les friches si typiques de la ville diffuse sont autant de données matérielles négligées dans cette mesure théorique. Par conséquent, les arrêts d’autobus de la banlieue sont souvent arbitrairement implantés sans prendre en considération les particularités du milieu et les parcours directs ou logiques qui en caractérisent la marchabilité.

[ intensité et urbanité ]

Corolairement, une intensité urbaine viable peut difficilement se manifester autour d’un nœud de mobilité implanté dans de telles conditions. L’effervescence par la diversité des activités et des modes de déplacement alternatifs ne peut pas exister si le point d’intérêt - l’arrêt d’autobus structurant - est contraint et inatteignable. Il est alors manifeste qu’une restructuration de ces non-lieux selon une logique fondée plutôt sur les cheminements piétons s’impose. À l’image des TOD [transit oriented development], L’effet Papillon repositionne ces arrêts de bus là où ils auront le potentiel de devenir structurants. Si l’approche conventionnelle de l’urbanisme tactique vise la mise en valeur des espaces négligés, L’effet papillon propose, à l’inverse, de déplacer un lieu délaissé pour le superposer à un pôle d’activités existant et ce, afin qu’il génère une nouvelle urbanité. C’est un geste simple et aisément réalisable de contestation citoyenne visant à provoquer une réflexion sur ces non-lieux et sur leur intégration possible au cœur de la trame urbaine.

 

 

 

Un arrêt à la pièce. Un emporte-pièce.

[ les barrières ]

L’arrêt de transport en commun, maintenant relocalisé par le geste indigné du piéton excédé par les logiques technocratiques, devient bien plus qu’un relais le long d’un corridor de transit défini: les points d’ancrage cognitifs du réseau de transport collectif se fusionnent aux véritables nœuds de la communauté suburbaine de Québec. Les barrières physiques, physiologiques et psychologiques entre le point névralgique du transport collectif et le lieu d’effervescence sont supprimées, ces derniers ne faisant désormais qu’un.

 

L’effet papillon permettra à la population de rétablir une cartographie mentale plus cohérente et moins abstraite, où nœud d’intensité humaine et pôle de mobilité collective se retrouvent en un seul et même lieu référencé et significativement marqué. Puisque le mouvement et la circulation constituent le plus souvent un trait caractéristique des espaces publics (Lévy, 2004), cette nouvelle polarité pourra véritablement devenir le point de départ d’une reconstruction de la ville. “La mobilité est ainsi une expérience actorielle - en société - doublée d’un évènement spatial pratique interactionnel. Elle est socialement construite, individuellement vécue, intersubjectivement partagée” (Lussault, 2004: 116) L’effet papillon ouvre également la porte à une réflexion plus large sur la part modale du transport en commun au sein de la ville diffuse. En assistant au repositionnement de l’arrêt de bus au cœur de l’intensité, le promeneur se verra confronté à sa propre mobilité et à sa contribution au phénomène de l’étalement urbain.

[ le geste ]

La maquette représente l’aspect radical de l’intervention. Le geste simple de planter un arrêt d’autobus est amplifié par la dichotomie des échelles afin de démontrer l’importance de ses répercussions anticipées sur l’environnement urbain. L’arrêt enfoncé en plein milieu du centre commercial générique est le symbole de la juxtaposition du pôle de transport et du pôle d’activités. Son action brutale vient fragmenter le socle, reflet du tissu environnant distendu et fractionné. Les fissures engendrées par ce percement laissent découvrir, sous les couches de vernis représentant la rigidité des pôles actuels, une nouvelle trame, symbole d’une urbanité renouvelée, perméable et accessible. L’implantation d’un arrêt de bus n’est alors plus le fruit d’un calcul fonctionnaliste, mais un geste de construction urbaine porteur et structurant.

[ reconfiguration ]

À terme, le réseau de transport en commun se voit modifié afin de correspondre davantage aux potentiels d’intensité de la ville diffuse et aux aspirations des utilisateurs. Les pôles sont unifiés et recalibrés pour devenir les éléments structurants d’un territoire fragmenté. L’intervention simple devient alors l’ancrage d’une consolidation de la mobilité de la ville diffuse, comme un TOD post-implantation modifiant les perceptions sociales et l’environnement bâti. La ville diffuse se voit alors dotée d’un cœur structuré, vecteur d’une reconstruction de la ville sur la ville; vers une urbanité centralisée et génératrice.

 

 

 

 

 

 

[ références ]

 

AMAR, Georges (2010) Homo mobilis : Le nouvel âge de la mobilité, Paris: FYP éditions.

 

AMAR, Georges (2004) Mobilités urbaines : Éloge de la diversité et devoir d’intention, Paris: Éditions de l’aube

 

ASCHER, François (1995)  Métapolis, ou L’avenir des villes, Paris : Éditions Odile Jacob.

 

LÉVY ET LUSSAULT dans ASCHER, François (2004) Les sens du mouvement, Paris : Éditions Belin,

 

DOBBINS, Michael (2009) Urban design and people, Hoboken, New Jersey: John Wiley & sons,

 

FORD, Larry R (2000) The spaces between buildings, Baltimore: The John Hopkins University press.

 

GEHL, Jan (1980) Life between buildings: Using public space, New York: Van Nostrand Reinhold Company.

 

LYNCH, Kevin (1960) L’image de la cité, Paris : Éditions Dunod.

 

PORTNOV, Boris A. et Evyatar ERELL (2001) Urban Clustering, the benefits and drawbacks of location, Aldershot: Ashgate Publishing.

 

“L’image d’une réalité physique donnée peut parfois changer de type quand varient les circonstances de vision. Ainsi, une autoroute urbaine peut être une voie pour le conducteur automobile et une frontière pour le piéton.” – Lynch, 1969: 56

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