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Frapper un Noeud

D'anonymes territoires périurbains se greffent depuis trop longtemps déjà aux structures villageoises québécoises, laissant leurs coeurs pour morts au profit de lieux de rencontre dispersés partout, et partout les mêmes.

 

Frapper un nœud est une action radicale critiquant la spatialité actuelle de la sociabilité périurbaine. Forçant l'arrêt et l'attente, causant d’abord l'incompréhension mais aussi le rassemblement, elle montre les possibles. L’intervention utilise l'histoire du paysage comme matériau et le palimpseste comme outil de lecture et d’intervention afin de montrer le potentiel identitaire d'un espace de sociabilité public, central et signifiant : le coeur du village. L'intervention demande réflexion et implication des résidants. Ce sont eux qui agiront pour la suite. Ils s'enrichiront de l'identité du paysage pour mieux le réactiver. 

Sédrick Bolduc, Audrey Gagnon, Marie-Camille Richard & Alexis Ruelland

«Pour les individus comme pour les groupes sociaux, la perte de la mémoire entraine une perte de l’identité. La conscience de soi implique en effet la capacité de relier l’expérience du présent avec les souvenirs du passé et les rêves d’avenir.» (Larochelle. 2007 : 2)

Il est temps de mettre fin à la contamination des paysages ruraux par le tissu suburbain. Cet envahissement en gomme le caractère. Il faut réinvestir les noyaux villageois trop longtemps délaissés. L’affirmation des identités individuelle et communautaire en dépend (Larochelle et Iamandi. 1999), de même que la création d’un sentiment d’appartenance. Ces fortifications identitaires sont essentielles au bon développement local des noyaux périurbains (Simard 2000).

 

 

UN IDÉAL COMMUNAUTAIRE

 

En choisissant le périurbain comme milieu de vie, les citadins sont à la recherche d’une vie communautaire de qualité. Ce motif social, cet idéal communautaire, est particulier aux résidants des noyaux périurbains. Il s’y exprime notamment par les relations sociales de voisinage que les individus établissent entre eux. Connaître son voisinage, en faire sa communauté, et profiter de cet encadrement pour élever des enfants est hautement valorisé par les populations périurbaines (Després, Vachon et Fortin, 2011). Cet idéal communautaire précède d’ailleurs toute forme de socialisation, c’est-à-dire que d’instinct, l’humain cherche à établir des relations avec l’autre. Ces relations participent  à la démarche identitaire de ce dernier qui tente ainsi de s’intégrer, de s’enraciner au monde (Simard. 2000 : 9). Comment s’opère la réalisation de cet idéal communautaire dans les territoires périurbains? Les relations sociales, sous la forme de relations de voisinage pour la plupart, sont-elles suffisantes pour transmettre une image forte du périurbain, lui donner une identité porteuse pour son développement et son rayonnement? L’observation de ces milieux de vie montre qu’ils sont plutôt anonymes, génériques, motifs reproduits indépendamment du caractère du lieu.

 

 

REVOIR LES LIEUX DE L’EXPRESSION SOCIALE

 

Les relations de voisinage ont une dimension spatiale intrinsèque : elles s’inscrivent dans un milieu particulier. C’est-à-dire que les dimensions physiques du milieu de vie servent de support à l’expression sociale, et donc à la réalisation de l’idéal communautaire (Simard. 2000). Ainsi, il est primordial d’agir sur l’espace pour assurer la pérennité de ces territoires. Il faut développer un paysage riche pour amener la richesse d’une communauté.

On sait que le modèle périurbain s’inscrit dans un contexte moderne de mobilité territorial croissante. Les lieux d’expression de la communauté s’éparpillent sur ce territoire. La socialisation et le processus identitaire communautaire se voient confinés dans des espaces génériques et le plus souvent privés (Tim Hortons, épiceries, pelouse du voisin) à proximité des artères de connexion. Il est clair que ces espaces ne doivent pas être les seuls supports de la sociabilité. Il faut plutôt que cette dernière s’ancre dans la spécificité historique du milieu, dimension centrale dans le complexe identitaire des individus.

 

 

 

L’HISTORICITÉ DES LIEUX

 

Le paysage est le résultat d’un processus de genèse et de transformation occasionné par les pratiques sociales s’étant opérées et s’opérant toujours sur le territoire (Larochelle.  1995). Cette succession de modifications en surimpression les unes sur les autres forme le palimpseste paysager (Palang et al. 2011 ). Leur compréhension permet d’identifier les façons de faire, les pratiques sociales et les modes de développement qui ont façonné l’endroit. Il s’agit là de l’identité du milieu (Larochelle. 1999), mais également de l’identité sociale de la collectivité qui y habite. Or, beaucoup de milieux périurbains négligent cette conscience du passé :

 

«The biggest problem with the peri-urban landscapes seems to be a negligence of the past and a prevalence of short-term thinking. However, none of these landscapes has been created « from scratch» - they all have history that might assist in creating sustainable peri-urban landscapes.»(Palang et al. 2011 : 346)

 

Cette rupture avec le passé affaiblit à la fois l’identité du milieu et celle des individus qui y vivent. Les milieux sociaux sont ainsi vides d’images historiques fortes, rendant impossible l’attachement des résidants à leur territoire. Or, ce processus d’attachement au territoire est un élément clé dans la vigueur du développement des milieux périurbains (Simard. 2000). Mais comment raffermir et ancrer les identités spatiales et humaines? Selon Larochelle (2007), la reconstruction du caractère reconnaissable des milieux périurbains passe par la réaffirmation et la sauvegarde des centres villageois.  L’identité spatiale ainsi affirmée, un sentiment d’appartenance peut naitre chez les habitants. Or, cet attachement au territoire est fondamental dans le développement local soutenable de la communauté (Simard. 2000).

 

 

L’INTERVENTION

 

À travers ces constats, nous tenons la conviction qu’une action radicale et soudaine peut, et doit, s’opérer. Nous commençons par Sainte-Hélène-de-Breakeyville, dans la ville fusionnée de Lévis. C’est notre première cible, mais il y en aura d’autres…

 

Nous intervenons en plein cœur du village. Des centaines de billes, à la fois histoire et matériau éveillant des souvenirs de sciage et de pulpe, affluent de la rivière Chaudière et s’empilent jusqu’au parvis de l’église, sectionnant la route principale de la région. Arrêt forcé pour tous, qui oblige à porter un nouveau regard sur la rivière et à reprendre contact avec sa charge historique et identitaire. Tous voient maintenant cette place publique à faire devant l’église. Alors peut s’enclencher la réflexion collective.

 

Frapper un nœud est une critique de la spatialité de la sociabilité périurbaine, une critique qui s’appuie sur une réflexion collective et sur l’histoire du paysage comme matériaux pour la réhabilitation et la construction – entendue en tant que processus continu de surimpression – d’une ville vivante, définie et attrayante.

 

 

LA MAQUETTE

 

Le paysage, façonné par l’Histoire, est potentiel : des vies, des valeurs et des visions d’avenir sont incrustées dans la rouille de sa terre. L’intervention est un geste fort qui tranche dans le quotidien, forçant l’arrêt et la réflexion. C’est une action qui révèle la richesse du paysage, qui en fait briller le potentiel. L’intervention est toute en transparence malgré sa concrète brutalité. Elle révèle plutôt qu’elle ne modifie. Elle transforme par son invitation à l’action et non par son action directe.

BIBLIOGRAPHIE

 

Antrop, Mark. 2005. « Why landscapes of the past are important for the future ». In Landscape and Urban Planning 70. Belgique : Elservier, p.21-34

 

Després, Carole et Vachon, Geneviève et Fortin, André. 2011. La banlieue s’étale. Québec : Éditions Nota bene. 412 p.

 

Palang, Hannes, Spek, Theo et Stenseke, Marie. 2011. « Digging in the past : New conceptual models in landscape history and their relevance in peri-urban landscapes ». In Landscape and Urban Planning 100. Elsevier, p.344-346

 

Larochelle Pierre. 2006. « Le paysage humanisé comme bien culturel ». In Écrits et communications sur le patrimoine bâti. Québec : École d’architecture de l’Université Laval. 5 p.

 

Larochelle Pierre et Iamandi, Cristina. 1999. « Milieux bâtis et identité culturelle ». In Écrits et communications sur le patrimoine bâti. Québec : École d’architecture de l’Université Laval. 15 p.

 

Larochelle, Pierre. 2007. « Ville et mémoire : l’entretien du sens dans la gestion du patrimoine urbain ». In Écrits et communications sur le patrimoine bâti. Québec : École d’architecture de l’Université Laval. 6 p.

 

Larochlle Pierre. 1995. « Le paysage culturel comme palimpseste : enregistrement du processus de genèse et de transformation du milieu bâti ». In Écrits et communications sur le patrimoine bâti. Québec : École d’architecture de l’Université Laval. 6 p.

 

Simard, Martin. 2000. « Le rôle du développement local dans la consolidation de l’identité communautaire : L’exemple du quartier St-Roch à Québec ». Thèse de doctorat, Québec : Université Laval, 260 p. 

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