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Moments Saillants

Moments saillants est une intervention radicale sur la rue de banlieue, incitant à la réflexion sur le potentiel de cet espace délaissé, aujourd’hui relégué à ses fonctions de voie de transit. L’intervention tactique se traduit par la création d’espaces pivots, flexibles et adaptables, qui s’ancrent sur les grands équipements institutionnels des quartiers résidentiels et qui sont reliés par un réseau de rues requalifiées. La rue se veut ainsi un parcours ludique, convivial, et évolutif, reflétant le caractère de ses activités locales, constituant une plate-forme d'interactions sociales et un support de la mémoire collective.

 

Sine qua non de l’urbain, la rue est l’élément fondamental et fondateur de la ville. Arrière-plan de la vie urbaine, support de tout ce que constitue la ville physique et humaine. Dans tous les sens du terme, la rue incarne une voie de communication où les relations sociales, les relations de production, les échanges et les déplacements de tous genres se côtoient et s’entremêlent. (Brody, 2005) C’est la scène de l’expression à la fois collective et individuelle, sociale et politique où tous les contrastes cohabitent, qui génère l’urbanité, aussi vibrante qu’elle puisse être.

 

Bien plus qu’un vide permettant le déplacement entre les espaces construits, la rue est, depuis la construction des premières cités, le lieu multifonctionnel par excellence. Historiquement, la rue est une interface qui puise son énergie et sa personnalité à partir des commerces, des institutions et des habitations adjacentes qui la définissent, y déversant l’étendue et l’influence leurs activités. (Bobic, 2004) Ainsi, la rue est à la fois l’extension du marché, de la salle communautaire, des espaces de divertissement, des lieux de travail, de la cour d’école, de la foire, de la salle de presse, etc. En bref, elle est un lieu où convergent toutes les activités pour créer une vie de quartier animée, encourageant les interactions sociales et favorisant les opportunités. (Brody, 2005)

 

Un phénomène global est venu chambouler cette caractérisation et cette perception de la rue à l’époque d’après-guerre: celui de la démocratisation de l’automobile. Véritable force motrice de l’étalement urbain, l’automobile nourrit et entretient la construction d’une ville diffuse et la ségrégation des activités, antithèse de l’urbanité.

 

Au sein d’une vision centrée sur les aspects techniques de la circulation en ville, le statut de la rue dans l’imaginaire collectif est passé d’espace de communication à voie de transit. Là, les différents modes de déplacements se frôlent, se croisent, mais jamais n’interagissent. Car toute forme d’interaction se veut un frein à l’atteinte de l’objectif principal du citadin contemporain: celui de se rendre à destination le plus rapidement possible. Comment alors redonner à la rue son rôle d’interface des sociabilités?

 

Les centres urbains, avec leurs fortes densités et leur mixité de fonctions, n’ont aucune difficulté à accueillir une diversité de modes d’appropriation, d’usages, ou d’activités spontanées de toutes sortes pour stimuler les échanges sociaux. L’engouement des citoyens envers les installations d’urbanisme tactique que l’on observe dans les centres urbains à travers l’Amérique du Nord témoignent du potentiel de la rue comme vecteur des sociabilités.

Et si la rue était autre chose qu’asphalte ?

Et si elle vibrait de nos moments collectifs?

Tristan Gagnon, Olivier Lalancette, Kevin Mark & Karine Mutchmore

En prenant la forme de parcours marchables et ludiques, où se côtoient une diversité d’activités, ces rues se transforment tranquillement, au rythme de leur appropriation par les citoyens, qui sortent de leur cocon privé pour déployer dans la rue toute une gamme d’activités informelles et retrouver un esprit de communauté. Les initiatives se succèdent, s’adaptent, se transforment, et enfin, la banale rue de banlieue devient espace d’échanges, de socialisation, de rencontres, de solidarités. (Pradel, 2007).

 

Non seulement ces interventions tactiques sont l’occasion d’une réinterprétation du rôle de la rue de banlieue en tant que théâtre d’activités et de socialisation, mais elles constituent aussi un vecteur pour la construction de la ville sur elle-même, dans une perspective de consolidation des voisinages de banlieue en tant que milieux de vie complets. Les grands terrains institutionnels de même que les tissus de maisons unifamiliales peuvent accueillir des projets de densification stratégiquement localisés.

 

Moments saillants, par de petites interventions ponctuelles, stimule la vie de quartier d’une banlieue homogène en provoquant une prise de conscience envers les trop vastes endroits sous-utilisés, notamment la rue et les cours avant, et le potentiel qu’ils représentent. Cette dernière pourra à son tour prendre racine dans l’imaginaire des résidents pour éventuellement transformer leur banlieue et en faire un endroit où il est agréable de déambuler et apprécier le temps qui passe. Le tout pour faire un monde meilleur avec des arcs-en-ciel, des poneys, et des licornes.

 

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La maquette représente une rue de banlieue, extraite du réseau homogène tapissé en arrière-plan. Les saillances représentent des interventions tactiques locales; des moments d’arrêt, des lieux d’échanges ou d’appropriation qui ponctuent l’espace public de la rue. Sur celles-ci, des photographies se superposent dans l’espace et dans le temps, traduisant le caractère évolutif des interventions. La lumière qui émane de la rue fait le pont entre les interventions, évoquant une logique de continuité entre elles. 

 

 

Références

 

Ascher, F. (1997) «Du vivre juste à temps au chrono-urbanisme», Les annales de la recherche urbaine 77: 112-122

 

Bobic, M. (2004) Between the Edges, Pays-bas : THOTH publishers.

 

Brody, J. (2005) «La rue, espace formel», dans La rue, Toulouse : Mirail

 

Donnelley, R. (2010) A policy Statement for Scotland designing streets, Edinburgh: The scottish government publications.

 

Ewing, R. et al. (2006) « Identifying and Measuring Urban Design Qualities Related to Walkability » Journal of Physical Activity and Health. 3(3) : 233-240.

 

Gehl, J. (2010) Cities for People, Washington : Island Press.

 

Hess, P. (2008) «Fronts and Backs: The Use of Streets, Yards, and Alleys in Toronto-Area New Urbanist Neighborhoods», Journal of Planning Education and Research 28: 196-212

 

Jacobs, A. B. (1993) Great Streets, Cambridge : MIT press

 

Krafta, R. (1997) «Urban convergence : morphology and attraction», dans Decision support system in urban planning, Londres

 

Krizek, K. J. and Johnson, P. J. (2006) «Proximity to Trails ans Retail: Effects on Urban Cycling and Walking», Journal of the American Planning Association 72(1): 33-42

 

Pradel, B. (2007) «Mettre en scène et mettre en intrigue: un urbanisme festif des espaces publics», Géocarrefour 82(3): 123-130.

 

Pradel, B. (2012) «L'urbanisme temporaire: signifier les «espaces-enjeux» pour réédifier la ville», dans Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques. Rennes: Presses universitaire de Rennes.

Cependant, dans le monde de la banlieue, là où demeure une majorité de la population québécoise, le contexte est complètement différent. Malgré une faible densité, les lotissements disposent d’imposantes surfaces asphaltées devant les maisons unifamiliales ou près des petits immeubles; l’empreinte d’une rue typique de banlieue à Québec atteint facilement 12 mètres de large. En y additionnant l’espace gazonné, le plus souvent inoccupé en marge de recul, on arrive facilement à une distance totale de 32 mètres entre deux maisons unifamiliales se faisant face. Et pourtant, ces rues, de même que leurs cours avant, demeurent stériles, délaissées et sans vie. (Hess, 2008) Hormis une petite marge près de la maison.

 

À défaut d’une densité assez importante ou d’une hiérarchisation adéquate des espaces publics et des rues pour soutenir une diversité d’usages et d’activités, comment créer des lieux attirants et vivants au sein des banlieues

 

Pour induire des espaces de socialisation, Moments saillants prend appui sur les seuls lieux qui brisent la monotonie des tissus résidentiels de banlieue; soit les équipements institutionnels. Avec leurs aménagements monofonctionnels et  leurs restrictions d’accès, les cours d’école et les terrains de sport municipaux constituent des lieux sous-utilisés.

 

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Voilà que cette nuit, en marge de ces équipements, l’espace de la rue et des cours avant est pris d’assaut. On y fait jaillir des interfaces publiques qui jouent le rôle de trait d’union entre le tissu résidentiel et les grands terrains institutionnels, entre l’espace domestique et les lieux institutionnels. Ces surfaces, flexibles et adaptables, forment les nouveaux lieux d’ancrage d’un réseau de rues requalifiées. L’ensemble du voisinage, petits et grands, jeunes et moins jeunes, s’approprient la rue devenue véritable espace public. La rue change au gré des humeurs du temps et des opportunités d’appropriation. En été, jardins, mini-bibliothèques, points de vente informels et aires de jeux surgissent pour laisser place à des talus de neige, des patinoires ou des feux de camp pendant la saison froide.

S’accrochant à de tels noyaux d’activités, les interventions tactiques viennent requalifier les rues, posant ainsi les bases d’une nouvelle hiérarchisation des voies, en rupture avec l’homogénéité du système viaire de la banlieue. De tels parcours requalifiés peuvent inciter les gens à marcher davantage pour se rendre aux commerces et services de proximité. L’échelle humaine, l’imaginabilité, et l’encadrement de la rue sont des exemples de critères empiriquement éprouvés qui affectent la motivation des individus à fréquenter activement la rue. Nos interventions et mises en séries créent une séquence accompagnant le marcheur, réduisant qualitativement sa perception de la distance.

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